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10 MAI 1981 UNE JOURNÉE PARTICULIÈRE
Lundi, 23 Mai 2011 20:57

10 MAI 1981

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Si Emmanuel Lemieux m'avait demandé ce que j'ai fait le 10 mai 1981, qu'il qualifie de « journée particulière », j'aurais bien été en peine de lui répondre. On ne peut se fier à sa mémoire qui magnifie tout ou bien efface sans laisser de traces, du moins apparentes, ce dont on aimerait bien se souvenir, voire qu'on aimerait pouvoir partager avec d'autres.

En faisant beaucoup d'efforts, de recoupements, de calculs, j'aurais juste pu lui dire que j'avais voté, oui, et pour qui, oui, et, même en me creusant la cervelle, comme on dit familièrement, cela se serait arrêté là. Ce qui déjà n'est pas si mal, puisque cela prouve que j'ai participé, à ma façon, à tort ou à raison, à l'évolution des choses.

Il se trouve que je tiens un Journal, commencé en 1977, avec des périodes de silence, parfois de plusieurs années, qui font que je ne sais jamais trop si j'ai gardé ou non un écho d'un événement qui aux yeux des autres semble avoir de l'importance – ici l'élection de François MItterrand à la présidence de la République française –, surtout en prenant du recul par rapport au passé. En sachant aussi que j'ai pu en noter d'autres dans l'indifférence la plus grande de mes compatriotes qui se révéleront longtemps après, peut-être, bien plus importants qu'on eût pu l'imaginer au moment où ils survenaient.

Dans ce livre tonique, stimulant aussi bien la rêverie que la réflexion, 10 MAI 1981 UNE JOURNÉE PARTICULIÈRE, d'Emmanuel Lemieux pour les textes et d'Olivier Roller pour les photographies, on va donc trouver des témoignages comme, par exemple, mais il y en a plus qu'il n'en faut, celui de Roland Dumas (avocat): 

« J’étais en Province, député PS de la Dordogne. Je suis allé voter. J’ai regardé la télévision, et quand j’ai su, je l’ai appellé. François Mitterrand m’a pris au téléphone et m’a simplement dit : Ça y est, ça commence. » p. 26

Mais à savoir ce qu'ils ont fait ce jour-là, qui n'est d'ailleurs pas toujours dit, ou de grand intérêt, et quand cela est dit, on sait que cela peut être, volontairement ou non, romancé, on préférera les formules pertinentes, et souvent même impertinentes, de l'auteur, fortes d'une expérience stylistique que le photographe a de son côté essayé de traduire par son travail sur les contrastes, souvent très corrosifs, entre l'ombre et la lumière, sur de nombreuses personnalités du monde de la politique, l'art, la mode ou la littérature.

En voici un petit florilège:

 

« Laurent Joffrin, ou l’art de planter des clous en or dans le cercueil des illusions. » p. 37

 

« Il a tenté de déblayer le terrain sur son passage, mais le sort en a décidé autrement. Pierre Delanoë se contentera-t-il de regarder la Seine couler sous les ponts, se perdra-t-il dans les miroirs d’un Dorian Gray en politique, ou bien regardera-t-il ailleurs, après que le miroir se sera brisé ? » p. 55

 

« Edgar Morin est un penseur de la renaissance. Il martèle son mantra : Tout ce qui ne régénère pas dégénère. » p. 77

 

« Avec sa réflexion sur le parasite – soit l’homme, la bête ou une onde radio –, il [Michel Serres ] invite à construire ou repenser une théorie des relations lorsque le parasite prend tout et ne donne rien, et que son hôte donne et ne reçoit rien. » p. 84

 

« Denis Olivennes aimerait glisser Tocqueville dans le séquençage de la pensée de gauche. » p. 89

 

« Une créature rhétorique saturant l’espace de mots au pelage raffiné et de verbes juteux, d’emphases narcissiques et de vagabondages bibliophiles. « C’est énorme ! », savoure-t-il. C’est même « hénaurme ». Depuis, il ne s’arrête plus, le mot à la bouche. p. 132 (Devinez qui ?)

 

« Au sujet du meilleur livre de François Mitterrand, Le Coup d’État permanent (Plon, 1964), Yann Moix écrit : « Tout pamphlet est une prière : on croit aboyer contre un ennemi, mais on prie pour soi-même, de toutes ses forces, pour obtenir aussi bien que cet ennemi. Le pamphlet est toujours touchant, le pamphlet est toujours émouvant : son auteur veut donner des coups, mais il ne fait en réalité qu’exposer publiquement ses blessures. Le pamphlet est une machine à tuer inventée par des blessés. » Un connaisseur. Bienvenue au panthéon des gueules cassées. » p. 144

Mais, me direz-vous, et vous, que faisiez-vous en ce temps-là? Eh bien voici.

 

En date du 5 mai 1981 je note (extrait) :

 

« Un regard bref sur ma montre : il est midi. Écrire encore quelques lignes puis mettre en place mon programme établi pour la semaine. Article sur Pivot à rédiger, relecture de mon manuscrit sur le Ladakh (dont j’ai reclassé et regardé en compagnie de Jean-Louis et Sylvianne, et leur rejeton, les diapositives, dans le gris après-midi). J’ai prévu de rester ici [dans le Gers ] jusqu’au 10 mai où je rejoindrai Le Bouscat pour voter et regagner Paris le lendemain. »

 

En date du 10 mai (très loin des préoccupations présidentielles) :

 

« Seul. Fatigué. Vaincu. Elle mourait d’envie d’aller au bal. Pas moi. Je l’ai donc déposée à Fleurance sur la route du retour. Même si elle les a trouvés gentils, elle ne s’est guère amusée che

z Jean-Louis et Sylvianne. Elle ne serait pas venue, si elle avait osé. J’ai essayé de ne pas trop marquer mon mécontentement. Et, après quelques derniers remords, quand elle m’a dit « à tout à l’heure », je savais déjà la suite, à laquelle il me faudrait faire face. Une rentrée vers quatre ou cinq heures du matin, avec toutes les fatigues accumulées ; celles de la semaine, de la soirée, sans parler des derniers kilomètres à pied sous la pluie. À moins qu’elle ne découche ; ce qu’elle sait que je ne pardonnerai pas. J’ai cependant l’impression d’être habité d’un calme intérieur peu habituel qui m’étonne. L’envie de lire quelques poèmes de Laforgue, peut-être quelques lignes de Constant, et surtout l’envie de dormir. Cela m’ennuie bien sûr de penser qu’elle me réveillera en rentrant. D’autant que je risque d’avoir le désir de la baiser et que sa fatigue s’y opposera. La grasse matinée me semble d’ores et déjà fort compromise. Je risque en effet de faire preuve d’impatience dès le réveil. Tous ces comportements dont j’ai conscience devraient me servir à un plus grand contrôle pour éviter tout conflit le jour de mon départ. Par ailleurs, elle a besoin de ma confiance pour pouvoir me donner la sienne qui, du reste, ne m’intéresse

plus depuis l’épisode Alexis. Ou uniquement dans l’optique qu’elle me demeure attachée afin que je puisse au moins compter sur elle en dernier recours. Cela ne saurait durer indéfiniment. Comment vivre un tel déséquilibre ? Mon mal au crâne s’est dissipé au cours de l’agréable et amical repas. Jean-Louis a tenu à me faire remarquer que le confort bourgeois avait du bon. La cuisine de Sylvianne, excellente, y suffisait. Pour la première fois peut-être, j’ai ressenti le plaisir qui pourrait venir d’avoir un enfant. Un piège de plus à maîtriser en perspective. Suis-je vieux comme elle le prétend ? Ai-je vraiment vieilli ? En d’autres temps, d’autres lieux, un bal ne m’aurait guère rebuté. « Je ne veux pas oublier que j’ai seize ans » m’a-t-elle dit sur l’oreiller d’un ton presque pathétique. Je la crois, au-delà de ses mensonges et comédies. Je suis presque convaincu qu’il me faille trouver une autre compagne. Anne-Marie fut un échec. Mais je pense qu’une nouvelle occasion de ce genre, à Paris, me permettrait de trancher. Quant à l’été, je ne me déciderai qu’après avoir vu Dorian puis Raphaël au cours de ce mois de mai, déjà bien entamé. Le sommeil étrangement me vient. Je n’irai certes pas la chercher comme un père sa fille et ne l’attendrai point comme un mari sa femme. Demain ; les bagages, la voiture, Bordeaux, Le Bouscat pour le vote et le repas familial en attendant les résultats ainsi que la suite de mes élucubrations. »

 

Et le lendemain, 11 mai (extrait) :

 

« Malgré tout, nous avons bu une coupe (ou plutôt une flûte) de champagne au comptoir du Manoir où je l’ai rejoint après le résultat des élections. Il lui faudrait une chance insolente pour décrocher son investiture. Ma fièvre, en ce moment, me laisse sceptique. Et très peu prolixe sur la liste de mes erreurs et vieilles peurs. Ce mal de gorge m’empêche d’envisager l’avenir. Peu importe. »

 

Il y aurait aujourd'hui des commentaires à faire, des explications à fournir, pour aider à mieux comprendre comment la petite histoire individuelle rejoint la grande collective, mais ce sera pour une autre fois. Il faut laisser un peu de place à l'imagination et aux rêves, sans parler de la nostalgie qu'engendre ce genre de quête et de livre à feuilleter à satiété.

 

10 MAI 1981 UNE JOURNÉE PARTICULIÈRE, Emmanuel Lemieux, Olivier Roller, François Bourin éditeur, 2011, 34 €