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Articles sur quelques essais

Par ordre alphabétique d'auteurs:

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L'Oasis Siwa, Alain Blottière, Quai Voltaire

 

Cette oasis imaginaire déjà recherchée et décrite dans son roman Le Point d'eau (Gallimard,1985) Alain Blottière a fini par la trouver dans la réalité, en Egypte où il vit et travaille la moitié de son temps. Il s'agit donc de l'oasis de Siwa, très proche de la frontière lybienne, impossible d'accès aux étrangers jusqu'en 1986 pour des raisons militaires et considérée comme une des plus belles, autant par sa situation géographique que par son passé historique, plus que millénaire. Alain Blottière n'hésite d'ailleurs pas à dénouer les fils invisibles qui relient la jeunesse d'Alexandre le Grand, son premier visiteur de marque, à celle de son ami Yacine. Il réussit brillamment, par l'intelligence et l'émotion qui dominent ce livre sans genre nettement défini et qui pour cette raison peut-être n'en a que plus de charmes, à évoquer "l'un des rares lieux du  monde où l'on peut voyager dans le passé du temps". C'est ainsi que l'écrivain contemporain remonte jusqu'à Hérodote pour reconstituer autour de Siwa l'histoire longtemps vivante du siège d'un célèbre oracle, celui d'Ammon. De l'oracle au temple, du temple aux ruines, les mystères sont en assez grand nombre pour éveiller l'imagination d'un amoureux des sables et du désert! Ce goût d'éternité en écho à Rimbaud, dont la silhouette traversait déjà  Saad, son premier roman, Alain Blottière le satisfait en idéalisant un superbe Alexandre au pays des dieux et en partant sur les traces des chercheurs de trésors et d'absolu. Ils ont pour nom William George Browne, Friedrich Hornemann et surtout Frédéric Cailliaud. Mais ces voyageurs du siècle dernier, dont les motivations n'étaient pas toujours scientifiques, n'ont pu entièrement lever le voile invisible de lieux protégés par le silence, le secret et la beauté. D'une certaine façon, Alain Blottière rend hommage à leur courage, même s'il reste conscient que " l'égyptomanie romantique et souvent lucrative " des occidentaux n'a pas plus été profitable aux oasiens que leur  conversion forcée à l'islam au VIIIe siècle de notre ère. Car Siwa a toujours fait figure "d'éden mythique" non seulement par les richesses de ses jardins (son huile, ses dattes...) ou de ses "deux soleils", mais aussi par la liberté de ses mœurs permettant le mariage entre garçons au cours de fêtes mémorables. Ces temps ne sont plus puisque l'uniformisation du monde moderne, maintenant que Siwa est de plus en plus reliée au reste de l'Egypte, entraîne "ces Perses d'autocar armés de camescopes" à détruire le sacré et l'âme de l'oasis. Sans sombrer dans une nostalgie larmoyante et réactionnaire, l'auteur, par sa lucidité et  son ardeur à aimer ceux qui ont su l'accueillir avec tant de délicatesse, laisse partager à la fois son enthousiasme et sa tristesse, puisque "Le voyage n'a pas d'objet si l'on tient à revenir".

 

Turold, François Cariès, Le Temps qu'il fait, L'homme noir, blanc de visage, Olivier Apert, même éditeur, Le preneur de rebut, François Boddaert, même éditeur

 

Ce n'est pas sans ironie qu'on se consacre à des gloires littéraires révolues. Or d'ironie et de mordant, les trois premiers titres de la nouvelle collection "Grandeur nature", créée aux éditions Le temps qu'il fait , n'en manquent pas. Ainsi d'ailleurs que d'audace en ne signalant pas toujours d'emblée l'"ancêtre plumitif" avec qui notre contemporain entretient un "rapport forcément ambigu". François Boddaert, qui dirige la dite collection, réussit jusqu'au tour de force de ne citer qu'une seule fois dans son court mais tonique essai sur Béranger (1780-1857) le nom de celui qui disait n'avoir pris que "le rebut des autres"! Si on ne lit guère davantage aujourd'hui les œuvres de Xavier Forneret (1809-1884), sauvé de l'oubli par André Breton dans son Anthologie de l'humour noir, Olivier Apert rappelle cependant comment ce riche et excentrique provincial (qui se nommait lui-même "L'homme noir, blanc de visage") a désiré frénétiquement réussir au théâtre, à l'instar d'Hugo avec son Hernani. C'est émouvant, incisisif et parfaitement documenté. Quant à la stèle poétique dédiée par François Cariès à Turold, auteur supposé de la Chanson de Roland, elle ravira plutôt les sourciers de la langue que les amateurs de vérité historique. Sont annoncées en prime d'autres impertinentes tribulations sur Sainte-Beuve, François Villon ou, sous pseudonyme, des "Scènes de la vie littéraire"...

 

Tombeau de Joseph Delteil, Guy Darol, L'Incertain

 

Cela est annoncé dès le commencement; " Il y a des filiations non enregistrées, des fils qui ne déclarent pas leurs pères". C'en est donc fait, Guy Darol tranche dans le vif; "Delteil, c'est ma lignée". Et de s'engager dans un hommage où les mots vont montrer, sans fioriture ni gratuité, qu'un hommage doit d'abord répondre à une exigence intérieure, car "La littérature, quand elle n'est pas le lieu du divertissement, est un outil de connaissance". Celle de soi passe ainsi par celle de l'auteur de Jeanne d'Arc, par exemple, qu'on réédite aujourd'hui fort à propos.1

Qu'on ne cherche point trop d'éléments biographiques ou bibliographiques, qu'on peut en effet trouver dans le Joseph Delteil, qui êtes-vous? de Robert Briatte (La Manufacture, 1988), mais plutôt, comme il est d'usage dans une composition très personnelle où l'auteur engage tout son être (et n'est-ce pas indispensable quand il s'agit de Delteil?), des pistes d'approches qui permettent d'aller droit à l'essentiel.

Guy Darol en propose sept qui, du sens sacré de la nature et de la vie au rire primordial et aux valeurs solides de l'amour et l'amitié, donnent de l'écrivain l'envie oubliée de le mieux découvrir ou le plaisir privilégié d'enfin le reconnaître. Il nous fait pénétrer tout d'abord dans un univers où la sensation est reine et sentir "le maître mot". D'où "le sens du miracle" à la portée du quotidien, comme un chat près de soi, référence récurrente. C'est d'ailleurs de cette "écriture moussue", si justement définie, que Delteil écrivit Les Chats de Paris, à nouveau disponible aujourd'hui.2

Mais c'est pourtant, paradoxe aussitôt, en "françoisier idéal" que Delteil s'adresse aux oiseaux, plutôt qu'aux pires sourds qui ne veulent entendre "que l'harmonie passe par la fusion". Dans la nudité, l'érotisme, l'absolu, Delteil mène le dialogue, de préférence au cœur de la forêt. C'est un sauvage, certes, et c'est pour cela qu'il finit par fuir la capitale, après y avoir cueilli une gloire  éphémère. Car "Il faut encore vivre le monde, l'intégrer comme partie de soi". L'auteur des Cinq sens exerce et professe "l'œillisme", une science instinctive qui entraîne l'écrivain de la ville à la vigne. En guerre définitive avec la civilisation ennemie qui "se groupe en plusieurs synonymes dont la guerre, le travail, la culture". Mieux vaut "rire de rien" quand on adopte pour devise "vivre de peu". Guy Darol nous transmet cette joie communicative et roborative. Elle rayonne au sein de la tribu qui fréquente La Tuilerie; Robert et Sonia Delaunay, Henry Miller, Pierre Soulages ou Frédéric-Jacques Temple... Quel émouvant témoignage que cette lettre de Jean Malrieu racontant sa visite à Delteil et sa femme, cette Caroline Dudley, "l'importatrice du Charleston", "discrète dirait-on mais toujours on sous-estime le rôle de la femme alchimiste". C'est sur cette présence féminine que Guy Darol donne sa dernière note, en laissant le lecteur sur cette impression d'honneur et de soulagement que Louis Nucera définit  dans sa préface aux Chats de Paris; "Il est des fidélités, des échappées vers le bonheur, des défis à l'absence de tenue qui s'opposent à l'anéantissement".

Jeanne d'Arc, Joseph Delteil, présenté par Robert Briatte,  Les Cahiers rouges, Grasset, 45FF.

Les Chats de Paris, Joseph Delteil, présenté par Louis Nucera, Les Editions de Paris, 110FF.

 

 

Du train où vont les jours, Jean-Louis Ezine, Seuil

Tout le monde n'a pas le loisir ni le privilège d'écouter avec fidélité et à une heure assez matinale France-Culture, et donc la chronique quotidienne de Jean-Louis Ezine. Heureusement que le vieil adage selon lequel les paroles s'en vont, les écrits restent, tient toujours aussi solidement la route. C'est le cas de le dire, car voici désormais plus d'une soixantaine de ces chroniques regroupées sous le titre Du train où vont les jours, histoire de relire à tout hasard ce qui a été entendu et bien sûr de découvrir ce qui a été perdu. Un recueil jubilatoire s'il en est de toutes les absurdités de notre monde contemporain qui charrie plus qu'on ne le croirait une quantité d'événements dont l'échelle de valeur n'a d'égale que l'intérêt qu'on veut bien leur accorder.

De la disparition de la deux-chevaux, "cette façon de tondeuse à bitume", à l'apparition du "bip-bip", téléphone qui permet d'être "un appelé en pleine messe", on constate avec l'auteur que le cheminement du progrès obéit à une loi de la relativité à laquelle Einstein eût pu souscrire, si du moins c'est bien à lui, et non à sa très chère et tendre épouse, que revient "la gloire d'une découverte déjà qualifiée de relative et restreinte"! Cette notion de progrès suscite chez l'auteur une impitoyable ironie qui s'attaque aussi bien aux technocrates européens décidant que la carotte est un fruit qu'aux yuppies américains (excusez le pléonasme) victimes avant tout de... leur nœud de cravate. Chaque commentaire, il va sans dire, s'appuie sur des informations de premier ordre, et souvent sur des statistiques dont les résultats font l'objet de développements les plus étranges. Ainsi ne devons-nous pas ignorer, par exemple, que l'homme rie de moins en moins (six minutes par jour, autant dire à peu près le temps d'une chronique ezinienne) mais qu'il n'en pleure pas pour autant davantage, ou que les gauchers et célibataires meurent plus vite que les autres. Ce qui nous vaut également des raisonnements par l'absurde fort réjouissant et des trouvailles de formules drôles dont l'écrivain n'est guère avare. Tout lui est prétexte à jouer sur les mots; la parodie publicitaire ("du bon, du bougon, du ronchon") , la périphrase savoureusement précieuse ("le véhicule proboscidien", pour l'éléphant) , l'adjectif rare (la contrainte saburrale), et bien d'autres tournures stylistiques dont il use et abuse jusqu'à épuisement des effets à produire. Jean-Louis Ezine doit bien savoir qu'on l'attend au virage et il prend un malin plaisir pour répondre à une sorte d'attente perverse du lecteur qui se voit ainsi récompensé tout en étant de temps à autres détourné vers des contrées quand même assez inattendues.

Avec des questions rarement posées ("Qu'est-ce que l'Elysée?" ou "Quelle différence y a-t-il entre la convivialité et la bienséance?") l'écrivain facétieux parvient à faire l'éloge de la vache, française ou helvète, comme du camembert ou du cageot, en citant Francis Ponge aussi bien que Bernard Schaw, Fidel Castro, Valéry ou Chateaubriand (fondateur, comme chacun sait, de la diététique). Une culture rarement mise en cause et toujours au service d'un bon sens sur lequel il y aurait tant à dire. Et il le dit d'ailleurs, avec la verve d'un Vialatte et le recul d'un La Fontaine, raillant les fonctionnaires et les raseurs, les "j'm'enfoutistes" et "leurres divers". De toute façon,on sait bien qu' il n'est pas un seul jour sans que jaillissent une aberration, un phénomène, un appel au secours.

On ne s'ennuie jamais à parcourir une époque où seuls quelques repères (la nomination de Jack Lang , la guerre du Golf) permettent de se rendre compte que le temps s'écoule en fin de compte bien lentement quand tout se reproduit à merveille, même en se transformant. Soignant avec élégance la fin de ses histoires, "car il faut une toujours une chute, même aux histoires sans fin.", Jean-Louis Ezine dépasse parfois le simple fait d'être malin. Il écrit ainsi, à propos du remords historique des Français: "Quand on voit à quel degré de lumière le souvenir de la barbarie guide l'action ou le repentir des hommes, on comprend décidément mieux pourquoi tout va si bien, comme disait le philosophe, dans le meilleur des mondes possibles." Et c'est ainsi qu'Ezine est grand!

 

Mythologie du fantastique, Les rivages de la nuit, Francis Lacassin. Éditions du Rocher

 

Érudition et passion sont les deux termes qui viennent immédiatement à l'esprit de qui se plonge dans le titanesque travail littéraire de Francis Lacassin. Ses "rivages de la nuit", pour prolonger et filer la métaphore, bordent un véritable fleuve de connaissances, de lectures et références absolument étourdissantes et il convient de naviguer ferme pour ne point y sombrer. Pour également recueillir, dans tout ce que charrie un tel déferlement d'informations, une telle bousculade de réflexions, l'apport réel d'une exploration aussi vaste de ce que cet infatigable et rarissime amateur nomme le "fantastique"; à savoir "un péril innommé, indiscernable, d'origine surnaturelle".

Comme l'auteur l'indique dans son introduction, son ouvrage court presque sur une vingtaine d'années, d'un numéro spécial du Magazine littéraire en 1972 à la récente préparation des oeuvres complètes de Lovecraft pour la collection "Bouquins" dont il est devenu un véritable pilier. Il met également en garde; son recueil de textes ici assemblés ne doit pas être pris " pour une théorie du fantastique, ni pour un guide sur les chemins de la peur, mais comme un simple itinéraire de (ses) curiosités". Même de telles précautions, au nom d'une liberté, voire d'une modestie tout à fait respectables, n'empêchent pas de regretter parfois une définition beaucoup moins extensible du fantastique ou la parcellisation  d' une évolution chronologique, souvent prise en compte mais trop rarement exploitée . Sans faire de la théorie à tout craint, ni de l'histoire littéraire, il est dommage que Francis Lacassin ignore les travaux de Todorov en ce domaine, ou, dans quelques cas particuliers, comme pour le Séraphita de Balzac, par exemple, un ouvrage tel que le S/Z de Roland Barthes. Reste à espérer qu'il ne range pas ces auteurs parmi les "cuistres " des universités contre lesquels il lance des invectives ulcérées à la cantonade. Et s'il est vrai que les manuels scolaires, qu'il  voue carrément à l'autodafé, sont coupables d'injustices flagrantes, on ne peut plus aujourd'hui les ranger tous dans le même panier. Contre un vieux Lagarde & Michard n'accordant aucune ligne à Nodier le XIXe siècle de Rincé et Lecherbonnier chez Nathan, par exemple, le hausse en tête de chapitre en très bonne compagnie (De Nodier à Nerval: le romantisme noir).

Mais il faut reconnaître, à la décharge d'un Lacassin à juste titre indigné, qu'on aurait des difficultés insurmontables à trouver dans quelque manuel ou anthologie que ce soit le millième de ce continent de l'étrange qu'on aborde avec lui, même et surtout quand il s'agit d'auteurs aussi (mal) connus qu'Alexandre Dumas ou George Sand. A moins de considérer, bien sûr, des démarches du même ordre d'esprit, avec "la peur" pour principal sujet, comme l'Anthologie d'Eric Jourdan (Points/Seuil, 1989) dont on  ne retrouve, sur les vingt auteurs présentés, qu'un seul élu dans la sélection de Lacassin: Stevenson! C'est dire l'immensité du domaine et la subjectivité des choix qu'elle entraîne. Francis Lacassin, dans ses vingt à lui, traités avec plus ou moins d'honneurs, ne range ni Edgard Poe ni Hoffmann auxquels il se réfère pourtant à très bon escient. Mais plutôt que de déplorer les absents, il convient plutôt de s'étourdir avec ceux qui font l'objet de ses prédilections. A commencer par Charles Nodier, auteur de Smarra , enfant chéri des romantiques et aussi, par sa célébration des puissances du sommeil, de Stevenson, James ou Mandiargues; Nodier victime de l'incompréhension d'un Mérimée que Lacassin est loin, en revanche, de porter dans son cœur. Nodier, admiré de Balzac ou de Dumas qui lui rend hommage dans La Femme au collier de velours. Un Dumas novateur dans le genre qui veut "authentifier le surnaturel pour mieux l'intégrer au réel". Cet hygiéniste inattendu du surnaturel, réduit à tort "maître du roman historique", rejoint en ce sens le triste sort de l'Écossais Walter Scott dont l'ambition était de "peindre une société passée  dans laquelle le surnaturel fait partie de la vie quotidienne". Walter Scott précurseur d'Henry James dans son ébauche de la "télégraphie psychique entre les âmes" et redécouvert sous cet angle par... Gustave Le Rouge!

Francis Lacassin a le grand art de secouer les poussières du clacissisme pour montrer en quoi Balzac, avec El Verdugo, annonce la "littérature à haute tension" de Dashiell Hammett et, avec son contrat diabolique du sieur Vautrin, réincarnation de Satan, le fameux "contrat" de série noire. Balzac, inventeur du fantastique social qui sera redéfini de nos jours par Pierre Mac Orlan. Il rappelle encore que George Sand, avec ses préoccupations socialisantes et écologiques avant la lettre, a su innover grâce " à une disposition assez rare: la triple absence de la mort (violente), l'horreur et la peur". Enfin que ce soit de Jean Lorrain, dont la source principale du fantastique "se situe dans l'écrivain lui-même", de Maupassant, qui "obéit à une thématique unique: l'étude des troubles de la personnalité", ou de   Henry James à propos duquel il propose une interprétation inédite du Tour d'écrou, Francis Lacassin fascine par la maîtrise qu'il possède de leur œuvre et leurs ramifications.

Mais s'il a lu tous ses "classiques" il a également lu tous ceux qui ne le sont pas. Du père de Fu Menchu à celui du mythe de Cthulu, de Lafcadio Hearn, fasciné par la métempsychose, à Rudyard Kipling, en proie lui-aussi aux apports de la culture orientale... C'est en ce sens que sa Mythologie du fantastique a de quoi surprendre. Comme quand il voit en Erckmann-Chatrian (une trentaine de contes étranges, parus de 1857 à 1863) les ancêtres d'un écrivain contemporain qu'on ne demande qu'à découvrir tant l'hommage qui lui est rendu ici est émouvant: Jean-Louis Bouquet (1898-1978). C'est quand il nous parle de l'auteur de Les Pénitentes de la Merci qu'on comprend à quel point sa déclaration à propos de Dumas: " Au lieu de s'évertuer à dégager la spécificité de l'œuvre, mieux vaut s'intéresser à la personnalité de l'auteur, à chercher si son tempérament se reflète dans celui des personnages". Et Lacassin d'être vraiment excellent dans ses esquisses de biographie, quand il nous parle de la femme de Stevenson, de l'idéologie de Lovecraft suite à son voyage à New York, du somnambulisme de Sax Rohmer ou du traumatisme de Jack London apprenant l'identité de son vrai père à vingt-et-un an! Il donne au lecteur l'impression de les avoir fréquentés, aimés au point de ne pas vouloir toujours reconnaître leurs faiblesses. C'est cette passion qui fait de son ouvrage, même lorsqu'il s'écarte des voies fantastiques rendues les plus populaires par l'exploitation cinématographique, celles de Frankestein et Dracula, une mine de trésors littéraires pour tous ceux qui sont attirés par l'intrusion des ténèbres de l'au-delà et de l'au-dedans, pour reprendre une des multiples formules émaillant cette somme de "curiosités".

 

Versailles songe royal, photographies de Maryvonne Rocher-Gilotte, texte de Pierre-Robert Leclercq, Parigramme

 

Quand des lieux sont trop chargés d'histoire, et qu'ils ont donné libre cours à une multitude de clichés (au propre comme au figuré), on a peine à imaginer qu'ils puissent encore nous surprendre au détour d'un livre de photographies. C'est pourtant l'exploit que réussit aujourd'hui Maryvonne Rocher-Gilotte en choisissant Versailles en noir et blanc, comme par modestie face à tant d'orgueil, et en hiver, comme saison impitoyable pour les fastes de la gloire solaire. Un paradoxe symbolique en tout cas que souligne et analyse, avec malice et respect, Pierre-Robert Leclercq dans le texte qui accompagne ces superbes images de jardins et monuments figés dans d'éphémères instants d'éternité. "Parlons moins de voir que de considérer", distingue l'écrivain, aussi familier avec la Cour de Marbre qu'avec la vie de la Cour, pour nous guider parmi les arbres, les allées, les bassins, les "mille détails", "les somptuosités d'un parterre, la symétrie de deux angelots enfouissant leur visage dans la pyramide d'un if taillé avec soin, l'éloquence d'une statue qui n'est pas là pour ne rien dire...". Dans Versailles où l'art à son apogée évoque la volonté toute didactique d'un roi, la photographie créative rend ici tous ses droits à une nature magnifiée et...souveraine.


Thomas Bernhard et les siens, Gemma Salem, La Table ronde

 

À... Thomas Bernhard, dans un recueil de citations et d'entretiens agencés par Gemma Salem. "En sollicitant les témoignages de ce livre, je demandais à chacun d'exprimer la raison de son intérêt, ou de son antipathie, pour Thomas Bernhard, il s'agit donc d'une approche humaine et non analytique". Le résultat dépasse les attentes d'un tel objectif, et cela grâce à la personnalité de Gemma Salem qui a mis dans ce travail une passion identique à celle qui lui a déjà fait écrire sa Lettre à l'Hermite autrichien. On est loin de l'ouvrage de circonstance, au sens habituel du terme, et bien plus proche de ce qu'on aimerait trouver aujourd'hui dans la biographie d'un écrivain. Matière à méditer pour les aficionados et à découvrir l'univers d'une oeuvre pour les néophytes. De Maria Asamer, la patronne d'auberge, au metteur en scène et directeur du Burgtheateur, Claus Peymann, cette trentaine de témoignages brosse un magnifique portrait de cet homme si étrange au si bizarre destin.

 

Des livres et Vous, Henri Zerdoun, Éditions Eboris

 

Si un photographe a pour passion la lecture, et s’il lui prend l’envie de photographier ceux qui lisent, il peut ensuite demander à des écrivains d’imaginer, à partir des photographies, cet univers révélé. C’est cette belle idée qu’a eu Henri Zerdoun, aujourd’hui concrétisée par un livre. Encadrée, c’est le cas de le dire, par un texte du photographe, du poète Jean Orizet, frappé “par l’effet de miroir ambigu produit sur l’image afin de lui donner une parole”, et de G.O. Châteaureynaud en quête des “couches archaïques de notre psyché”, une trentaine d’écrivains entraînent le lecteur-voyeur dans cette aventure de la malle au trésor, métaphore de la “réalité intérieure” vue par Frédérick Tristan. Avec l’humour malin, romanesque ou rêveur de Christiane Baroche, Marc Petit, Paul Fournel, Thierry Bayle, Max Genève, Annie Saumont; la méditation grave d’Hubert Haddad ou Cécile Wajsbrot; l’élégance nostalgique de Richard Millet ou Marcel Schneider; la poésie enfin d’Yves Jouan, Michel Host (sortant ici de son registre habituel) et du toujours sublime et émouvant Yves Martin. Autant remercier Henri Zerdoun, avec Edouardo Manet, “de nous avoir fait traverser le miroir”.

 

 

Informations supplémentaires

  • Editions: Le Magazine littéraire
  • Date de parution: